PIANOS ESTHER

La plus ancienne maison de pianos de Wallonie

 


Erard

Manufacture de pianos fondée à Paris en 1780





Sébastien Erard
(Strasbourg, 1752 - Passy, 1831)


Quelle meilleure introduction pour éclairer le rôle éminant joué par Sébastien Erard et son neveu Pierre Erard dans la facture du piano que de citer Turgan qui écrit en 1882 dans Les Grandes Usines : « La fabrication des premiers pianos dignes d'interpréter la musique des grands maîtres est due à Sébastien Erard ; depuis cette création jusqu'à nos jours, le nom Erard est attaché à tous les progrès réalisés dans cette industrie ; c'est là peut-être un exemple unique, et dans aucune autre branche de l'industrie on ne peut trouver une fabrication commencée, améliorée et amenée à un état de perfection presque complet et cela dans un même établissement. »

L'habileté manuelle de Sébastien Erard dans le travail du bois était remarquable. Elle fut acquise dans l'atelier de son père qui était ébéniste à Strasbourg, alors ville allemande. Sébastien Erard acquit des connaissances théoriques dès son jeune âge. Son père eut en effet la sagesse de l'envoyer dans les écoles de Strasbourg où il étudia l'architecture, la perspective, le dessin linéaire et la géométrie pratique. À la mort de son père, Sébastien Erhardt — c'est ainsi que son nom s'écrivait — partit pour Paris comme le faisaient alors beaucoup d'Alsaciens; il est alors âgé de 16 ans quand il prend ses quartiers dans la capitale royale en 1768 et se fait appeler Erard.

Sébastien Erard trouva rapidement les clés de la bonne fortune en construisant auprès d'un maître parisien un instrument superbe que l'on dit avoir été admiré du Tout-Paris. L'aventure se poursuivit avec un clavecin mécanique, qui fit sensation auprès des artistes et des amateurs. C'est alors qu'âgé de 20 ans, il installa son atelier dans l'hôtel de la Duchesse de Villeroy, mécène des arts. C'est sous sa protection qu'il conçut son premier clavecin (1772). Il est convenu de considérer que cet instrument était d'une qualité supérieure à tout autre de son temps. L'épopée Erard était lancée sur de bons rails.

La vogue du piano commençait à cette époque son prodigieux parcours en Europe. On relate fréquemment que le premier piano à sonner en concert à Paris avait été construit par le liégeois Pascal Taskin (1776). Erard, quant à lui, aurait fait son premier piano carré en 1777. Quoiqu'il en soit, la renommée des pianos d'Erard s'établit et l'on dira alors souvent un « Erard » pour dire un piano-forte, en employant le nom du facteur de pianos pour le nom générique.

Fort de son succès, Sébastien Erard fit venir son frère, Jean-Baptiste, à Paris. Les deux frères s'associèrent pour fonder l'établissement Erard dans la rue Bourbon, devenue aujourd'hui la rue de Lille. L'atelier fut transporté peu de temps après rue du Mail où la fabrique ne cessa de s'aggrandir près d'un siècle durant, avant d'être installée rue de Flandre. Aucune autre fabrique de pianos, autre que la manufacture Erard, n'occupa une place aussi dominante dans le monde musical de la fin du dix-huitième siècle à 1855.




Ateliers et chantiers de la Maison Erard, rue de Flandre, n°112, à Paris.
Extrait de TURGAN, Les grandes usines, tome XVIII, 1882.


Sébastien Erard était bien introduit dans le milieu de l'aristocratie qui s'arrachait ses instruments. Il en construisit plusieurs pour la reine de France, Marie-Antoinette. Son activité, dont le succès excitait la jalousie, fut protégée par Louis XVI qui lui accorda le brevet suivant (1785) : « Aujourd'hui cinq février mil sept cent quatre vingt cinq, le roi étant à Versailles, informé que le sieur Sébastien Erard est parvenu par une méthode nouvelle, de son invention, à perfectionner la construction de l'instrument nommé forte-piano, qu'il a même obtenu la préférence sur ceux fabriqués en Angleterre, dont il se fait un commerce dans la ville de Paris et voulant Sa Majesté, fixer les talents du sieur Erard dans ladite ville et lui donner des témoignages de la protection dont elle honore ceux qui, comme lui, ont, par un travail assidu, contribué aux arts utiles et agréables, lui a permis de fabriquer, faire fabriquer, et vendre dans la ville et faubourgs de Paris, et partout où bon lui semblera des forte-pianos et d'y employer, soit par lui, soit par ses ouvriers, le bois, le fer et toutes autres matières nécessaires à la perfection où à l'ornement dudit instrument, sans que pour raison de ce il puisse être troublé ni inquiété par les gardes syndics et adjoints des corps et communautés d'arts et métiers pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce soit, sous les conditions néanmoins par le ledit sieur Erard, de se conformer aux règlements et ordonnances concernant la discipline des compagnons et ouvriers et de n'admettre dans ses ateliers que ceux qui auront satisfait aux dits règlements, et, pour assurance de sa volonté, Sa Majesté m'a commandé d'expédier au dit sieur Erard le présent brevet qu'elle a voulu signer de sa main et être contresigné par moi secrétaire d'Etat et de ses commandement et finances. »

En 1789, Sébastien Erard fuya la Révolution et Paris. Il prit ses quartiers à Londres où il fonda les bases d'une fabrique. Il ne revint en France qu'à la Restauration, en 1815, sans cesser de maintenir des liens privilégiés avec l'aristocratie anglaise (sa fabrique de pianos de Londres ne ferma ses portes qu'en 1880). C'est alors, dans cette nouvelle période de sa vie, qu'il donna toute la vigueur de son génie inventeur.




Harpe Erard, grand modèle à double mouvement, style Louis XVI.
Extrait du catalogue Erard, Paris, 1900.
Collection Carl Esther.


En 1815, à l'Académie des Beaux-Arts, Sébastien Erard présenta une nouvelle harpe. Son mécanisme à double mouvement reste à ce jour la référence. Puis, il révolutionna la fabrication des pianos en multipliant les améliorations : Erard est l'inventeur de la barre harmonique, du sillet, des agrafes – brevet français de 1838 – ; il consolida aussi la construction des pianos à queue avec des barres métalliques ajoutées au barrage. Il inventa aussi le clavier expressif de l'orgue romantique). Cependant l'invention de génie de Sébastien Erard, qui lui assurera une renommée pérenne, est la mécanique dite à double échappement. Cette invention-clé est le fruit d'une évolution que Sébastien Erard mena de 1777 à sa mort et qui fut finalisée par son neveu Pierre Erard. Un autre inventeur génial, Henri Herz, apporta à ce mécanisme une légère amélioration en déplaçant le point d'action du ressort. Cette mécanique est celle qui équipe, dans ses principes fondamentaux, les pianos à queue actuels sous la dénomination mécanique Erard ou mieux mécanique Erard-Herz. Le système dit à double échappement sera breveté par Erard en 1822.




Mécanique à double échappement d'Erard.
Extrait de CLOSSON, Ernest, Histoire du piano, Editions universitaires - Les Presses de Belgique, 1944, p. 152.
Collection Carl Esther.


Les pianos Erard rayonnèrent dans le monde musical à partir de la fin du dix-huitième siècle. De par le monde, les salles de concert faisaient sonner un Erard. La plupart des artistes jouaient les pianos Erard et les portaient dans leur cœur (notons cependant que Chopin, ami de Camille Pleyel, préféra le son des Pleyel). Erard fut distingué à toutes les Expositions internationales : constamment classé au premier rang, il y participa bientôt hors concours.




Médaille Erard insérée dans le couvercle d'un piano droit, c. 1869.
Collection Carl Esther.


Le salon Erard, puis la salle Erard, furent des lieux de prédilection de la vie musicale à Paris au XIXème siècle. La salle existe toujours au n°13 de la rue du Mail près du jardin du Palais Royal.




La salle Erard, rue du Mail, n°13, à Paris.
Extrait de TURGAN, Les grandes usines, Revue périodique des Arts industriels, Tome XVII, 1885.





Pierre-Orphée Erard, le neveu de Sébastien Erard, par Wilhelm Heuer, d'après Jean-Urbain Guerini, 1820.
Source : gallica.bnf.fr (Bibliothèque nationale de France).


Le neveu de Sébastien Erard prit la direction des fabrications à la mort de son oncle en 1831. Durant vingt-cinq ans, Pierre-Orphée Erard continua à enrichir la firme Erard de nombreux brevets et distinctions. La lecture du rapport de Thalberg, grand pianiste d'alors, est explicite à propos d'un piano qui figurait à l'Exposition de Paris de 1839 :

"La caisse de cet instrument, dit Thalberg, est d'une solidité extraordinaire ; elle est barrée en bois sous la table d'harmonie et présente en outre un barrage métallique parallèle situé au-dessus du plan des cordes et composé de barres longitudinales fortement arc-boutées à leurs extrémités. Le côté cintré de la caisse est formé de plusieurs pièces de bois collées ensemble dans un moule pour augmenter leur solidité. La table d'harmonie remplit tout l'espace vide de la caisse sauf la partie qui sert de passage aux marteaux. Les cordes sont en acier et d'un diamètre si fort que la tension nécessaire pour les mettre au ton produit un tirage égal à un poids de douze tonnes. Elles traversent des sillets ou agrafes vissés dans une barre de métal. Ces sillets donnent à la corde un support tel qu'il empêche son déplacement, quelle que soit la force du coup de marteau qui la met en vibration. Les cordes sont montées sur l'instrument d'après un système appuyé sur des exprériences acoustiques et de manière à ce qu'elles soient frappées par le marteau au point précis pour produire le son le plus pur. L'étendue du clavier est de sept octaves du la au la.

Quant à la mécanique que nous avons précédemment décrite elle constitue un magnifique exemple de levier complexe qui unit la touche au marteau. L'objet de ce mécanisme est de faire passer du point où le doigt agit sur la touche au point où le marteau agit sur la corde une délicatesse de toucher telle que le piano participe jusqu'à un certain point de la sensibilité de toucher que l'on remarque dans la harpe et qui est la conséquence de l'action immédiate du doigt sur la corde de cet instrument, sans l'intermédaire d'un autre mécanisme. La puissance de cet instrument dépend de la quantité de matière mise en vibration ; la quantité de cette vibration dépend de l'harmonie mathématique de toutes ses parties et la pureté du son de la nature du barrage, de la longueur des cordes et de leur disposition relative au coup du marteau. Or toutes ces différentes parties s'harmonisent avec un art admirable.

Le mécanisme surpasse tout ce qui a été fait ou essayé en ce genre. Il permet à l'exécutant de communiquer aux cordes tout ce que la main la plus habile et la plus délicate peut exprimer. Il traduit toutes les nuances du sentiment, en passant des sons les plus puissants aux plus doux et aux plus délicats.

Ce mécanisme est si parfait, surtout dans l'expression de répétition délicate, que si l'exécutant manque une note, c'est par sa faute et non par celle de l'instrument. Beaucoup de gens s'imaginent que la puissance d'expression du piano est hornée ; c'est à tort car il possède tous les éléments d'expression qui distinguent les autres instruments, et il en a plusieurs qui lui sont particuliers. Selon la manière dont on attaque la touche ou dont on se sert des pédales, on peut produire des effets bien différents surtout avec un instrument comme celui que nous venons de décrire qui réunit à des sons puissants et riches d'harmonie, un mécanisme si favorable pour en tirer parti."


Le nom Erard, Sébastien Erard lui-même et ses pianos devinrent objet littéraire. Par exemple, avec Hector Berlioz dans Les soirées de l'orchestre (1852) et dans Les grotesques de la musique (1859).

Le piano de concours de Monsieur Erard, satire extraite de Les soirées de l'orchestre (1852)

Un rival d'Érard extrait de Les grotesques de la musique (1859)




Vue des magasins Erard au 1er étage de la rue du Mail, 13, à Paris.
Extrait de Le piano d'Erard à l'Exposition de 1844, Paris, 1844.


À partir de 1855, la veuve de Pierre Erard, aidée de son beau-frère M. Schaëffer, poursuivit l'activité de la maison Erard. Celle-ci continua d'accumuler les succès aux Expositions de Paris (1878), de Sydney (1879), de Melbourne (1880), d'Anvers (1885)... À la disparition de la veuve de Pierre Erard, A. Blondel, confrère facteur de pianos, s'associa à l'entreprise et en devint le successeur. En 1903, la firme portera le nom Erard - A. Blondel et Cie, successeurs.




Piano à queue Erard présenté à l'Exposition universelle de Paris de 1878.


À la fin du dix-neuvième siècle, la firme est de plus en plus concurrencée. Les processus de fabrication d'Erard faisaient une large place à l'artisanat d'art et à une recherche onéreuse de la perfection. Ainsi, par exemple, la barre harmonique en bronze, coulée spécialement et finie à la main, ajoutait une somme de 5 000 francs de l'époque à chaque piano à queue... Erard était aussi le partisan d'une construction mixte de l'ensemble de la partie de l'instrument qui supporte la traction des cordes en alliant un fort barrage de bois à des barres métalliques parallèles arc-boutées au-dessus du plan des cordes. Erard favorisait aussi la souplesse et la légereté du mécanisme. Tout ceci, associé à quelques autres particularités, assurait une frappe des marteaux sur les cordes qui favorisait un son harmoniquement riche et une grande égalité des sons sur l'étendue du clavier, au détriment de la puissance et de l'éclat pur qui allaient être de plus en plus recherchés. Erard maintenait dans ses fabrications des procédés conservateurs au détriment d'avancées modernes. En s'arc-boutant sur des concepts vieillissants et en ne craignant pas l'obsolescence, la firme allait lentement s'endormir sur ses lauriers à partir des années 1900, tout en continuant de fabriquer de très beaux instruments.




Voiture de livraison de la fabrique de pianos et harpes Erard, c. 1900.



Piano droit Erard, modèle n°5.
Extrait du catalogue Erard, Paris, 1900.
Collection Carl Esther.



Détail de la table d'harmonie du piano droit Erard, n°83385, avec la mention : Par Brevet d'Invention - Seb. & Pre Erard - 13 & 21, rue du Mail, Paris.
Collection Carl Esther.



Piano à queue Erard, modèle n°3.
Extrait du catalogue Erard, Paris, 1900.
Collection Carl Esther.



Vue de la fabrique de pianos et de harpes Erard à Paris.
Extrait du catalogue Erard - Paris - 13, rue du Mail, 10 février 1913.
Collection Carl Esther.


Paris, 1925 : l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes va faire date. Très différente des expositions organisées jusqu'alors, elle oblige les exposants, non pas d'accumuler dans les stands une production hétérogène, mais a contrario de présenter des ensembles conçus en fonction d'un tout bien défini. A côté des pianos Gaveau et Pleyel qui prennent magistralement part à cette orientation esthétique (des pianos, dont les meubles ont été dessinés par des architectes décorateurs renommés, prennent place dans ensembles de style différent), la firme Erard est aussi présente, ainsi avec l'ensemble ci-dessous.




Piano à queue Erard dessiné par Jacques-Emile Ruhlmann et présenté dans le bureau-bibliothèque
de l'Ambassade française à l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels, Paris, 1925.
Carte postale, 1925. Collection Carl Esther.


Toute la période qui précède la Seconde Guerre mondiale est parsemée des activités et des créations d'Erard : fournisseur du Conservatoire de Musique de Paris, insertion du système Odeola, recherche de meubles particuliers, etc.





En-tête de facture de la manufacture de pianos et de harpes Erard, 1930.
Collection Carl Esther.





Pianos ERARD dotés du système de reproduction automatique ODEOLA.
On notera que la succursale de BRUXELLES, rue d'Arenberg, était le magasin des pianos Gunther. Publicité, 1930.
Collection Carl Esther.



Couverture d'un catalogue de la maison Georges Vriamont de Bruxelles, devenue représentante générale de la firme Erard pour la Belgique,
tiré en similigravure en rouge et noir, avec la signature Emair 1932. René Magritte commit à l'époque des publicités commerciales qu'il signait "Emair".



Piano droit Erard, style "chinois", années 30.
Extrait de JURAMIE, Ghislaine, Histoire du piano, Editions Prisma, Paris, s.d. [1938], p. 145.
Collection Carl Esther.



Vue aérienne d'un piano à queue Erard de conception moderne (1936).
Extrait de JURAMIE, Ghislaine, Histoire du piano, Editions Prisma, Paris, s.d. [1938], p. 135.
Collection Carl Esther.


La grande crise de 1929 puis la Seconde Guerre mondiale vont peu à peu miner le marché français du piano. Erard va s'éteindre lentement et irrémédiablement aux cours des années 1950... En fait, l'histoire d'Erard se termine comme suit : il y eut d'abord une fusion des sociétés Erard et Gaveau au cours des années 50. La société Erard-Gaveau accueillit peu après en son sein la société Pleyel qui rencontrait de grandes difficultés. En 1967, un accord avec la firme allemande Schimmel de Braunschweig lui permit d'insérer progressivement sur ses propres productions les noms prestigieux Gaveau, Erard et Pleyel. Ainsi peut-on lire (Das Musikinstrument - cahier 6/juin 1981) : "L'organisation commune des ventes (est régie) depuis 1971 sous la dénommination Les grandes Marques Réunies - Gaveau - Erard - Pleyel - Schimmel. Les instruments sortent sur le marché sous leur propre nom d'origine, déposé, et forment un programme individuel à chaque marque". Après cet épisode curieux (au cours duquel un Erard, un Gaveau ou un Pleyel était en fait un Schimmel déguisé), la marque Erard naviga entre divers propriétaires. Elle fut alors rachetée par l'actionnaire principal de la société des nouveaux pianos Pleyel et est actuellement au repos complet, ce qui est peut-être aujourd'hui la meilleure chose qui puisse lui arriver. Resquiescat in pace. R.I.P.




Les Grandes Marques Réunies : Gaveau· Erard· Pleyel· Schimmel.
Réclame extraite de Das Musikinstrument, mars 1979.
Collection Carl Esther.



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